Une pomate éblouissante
Traversée du pont pour enjamber la Loire, une lumière blanche éblouissante qui vous referme les yeux, Sam pensait aux lunettes d'inuit, une fine ligne horizontale de mire pour la traversée en pleine lumière blanche, à l'écho des réflecteurs au sol, tuffeaux et pierres blanches Et puis, comme par hasard Sam a croisé Sammy sur son vélo ou plutôt un croisement sur le pont dans la même direction, D J M Tous ensemble, en route pour la visite des lieux de deux des quatre pavillons d'octroi de la place. Au sein d'un des pavillons, Sammy travaille sur une pièce. En cours de réalisation, assemblé de bois, couché sur son flanc, réside sur des tréteaux, un marteau de grande taille. À l'origine, ces pavillons étaient aussi en quelque sorte les portes d'entrée de la ville, ou d'une certaine manière le marteau avait dû s'agiter là aussi pour acter les taxes des marchandises qui entraient. L'éternel pouvoir au bout du marteau. Sam avait dû laisser le marteau s'agiter car il continuait d'avoir dans la rétine depuis même avant même la traversée du pont, les déplacements des toiles spéciales d'OD, rendues visible sur un écran dans une des salles du cccod. Sam restait fasciné par le montage des peintures de Debré, les pieds qui se déplacent à droite puis à gauche, une main qui vient devant, les pieds qui avancent tous ensemble devant, de profil. Sam se projetait à nouveau, le pinceau à la main. Il pensait ses peintures beaucoup plus grandes justes pour que l'on soit nombreux à les déplacer. Un déplacement ajusté, à petits pas, plus c'est grand plus les pas sont petits et plus les pieds doivent être nombreux. Sam retrouvait ses montagnes, des montagnes à déplacer. Ah la peinture, comme Sam l'aimait quand elle l'agitait au point d'en faire une montagne! Et qu'elle puisse se mouvoir non au point de se tortiller comme un serpent, mais plutôt comme un volume rigide qui se déplace dans l'espace tout en créant un autre volume d'air se déplaçant en différé du volume rigide. L'air semblait rattraper le volume. Sam se demandait pourquoi on pousserait la rêvolution. La rêvolution n'a plus d'élasticité. Sam sentait ses chaussettes pailletées qui tombaient au fond de ses chaussures. C'était au fond très désagréable. L'humidité faisait miroiter les paillettes et pourtant cela n'avait rien d'excitant. Le rêve s'envolait petit à petit. La chaleur était plombante et mettait en stand-by l'énergie qui l'avait tant agité depuis lors. De temps en temps, comme par soubresauts, une montagne surgissait de part et d'autres des paysages en cours, comme s'ils se refaisaient incessamment, insatisfaits de leur état. Le paysage implique un point de vue. Sam pensait encore une fois changer de points de vue. Sam se demandait si réellement le paysage changerait. Il se demandait s'il n'avait pas déjà changé sans que l'on s'en aperçoive et si par la même occasion le point de vue n'avait pas muté autrement. Il se demandait si on oubliait de contempler le paysage, s'il disparaîtrait. Un point de vue virtuel, amènerait-il forcément un paysage virtuel. Sam se demandait si le paysage appartenait seulement à celui qui avait engagé le point de vue. Est-ce que la nature incluait le paysage ? D et moi avions pensé déplacer les toiles à pied dans les rues de Château-Gontier. Des buissons conceptuels aux bandes vert sur vert, mat sur brillant, de grands formats qui nécessitent de porter à deux. DMC en a fait cadeau à Sam pour qu'elle les réutilise. Les pensées de paysages agités sont en état d'ébullition. La tête tourne. Une promenade dans l'allée principale des jardins qui longent la rivière sera de mise. Quelques montagnes se feront la malle pour jongler dans les jardins entre les buttées préparées et les tiges grimpantes aux vrilles, cucurbita maxima et solanacée. Des pieds au pas et au pied des montagnes agitées. Et puis, pour Lamaline, jardinière en herbe, il y a la tentation étrange d'une greffe d'une pomme de terre sur une tomate. Une pomate. Extrait Les pensées de Sam Moore - Une pomate éblouissante - Rêvolutions - septembre 2019